Accueil A la une Khaled Hussein, Directeur par intérim du Bureau de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) en Afrique du Nord : « L’impact de la pandémie n’est pas encore quantifiable pour les pays de l’Afrique du nord »

Khaled Hussein, Directeur par intérim du Bureau de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) en Afrique du Nord : « L’impact de la pandémie n’est pas encore quantifiable pour les pays de l’Afrique du nord »

L’impact économique de la pandémie du COVID-19 qui sera très important à l’échelle mondiale et africaine, n’est pas encore quantifiable pour les pays de l’Afrique du Nord, a affirmé le Directeur par intérim du Bureau de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) en Afrique du Nord, Khaled Hussein.

Dans une interview accordée à l’Agence TAP, il a estimé qu’il faudra du temps avant d’avoir une image complète des implications de la crise du COVID-19 sur les économies nord-africaines, mettant l’accent sur la nécessité de mettre en œuvre la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA, ZLEC ou Zlecaf) qui pourrait aider à atténuer certains des effets négatifs de la pandémie sur les économies de ces pays.

Il a dans le même cade rappelé que plusieurs pays d’Afrique du Nord, notamment la Tunisie, ont pris des mesures rapides pour atténuer l’impact de l’épidémie du COVID-19 sur leurs économies et lancé des moratoires fiscaux, qui ont permis de reporter le remboursement des crédits bancaires, tout en commençant à accorder un soutien financier aux secteurs les plus touchés comme le tourisme.

Pour le responsable, en Afrique, environ 30 millions de personnes risquent actuellement de perdre leurs emplois, en particulier dans les secteurs du tourisme et des compagnies aériennes à travers le continent.

Quelle est votre évaluation de la situation actuelle dans les pays de l’Afrique du Nord suite à l’apparition de la pandémie du COVID-19 ?

Au cours des dernières semaines, les pays d’Afrique du Nord ont cherché avant tout à limiter le taux d’infection et protéger leurs économies nationales. Il faudra du temps avant d’avoir une image complète des implications de la crise du COVID-19 sur les économies nord-africaines.

Certains pays de l’Afrique du nord sont confrontés à des défis supplémentaires, tels que l’impact du conflit en Libye, la transition du régime au Soudan et la sécheresse au Maroc. Des essaims de criquets qui menacent la région de l’Afrique de l’Est contribuent à assombrir davantage le tableau.

Nous savons déjà que l’impact sur l’économie mondiale et africaine sera très important. Rien qu’en Afrique, environ 30 millions de personnes risquent actuellement de perdre leurs emplois, en particulier dans les secteurs du tourisme et des compagnies aériennes.

La CEA s’attend à ce que la plupart des économies perdent 2 à 3 % de leur PIB cette année, en raison de la pandémie.

Quelle est votre estimation des pertes économiques ?

La Secrétaire exécutive de la CEA, Vera Songwe a déjà donné le ton, en annonçant lors de la Conférence africaine virtuelle sur l’impact du COVID-19 sur l’Afrique qui s’est tenue la semaine dernière, que si la propagation du virus n’est pas contenue à court terme, l’Afrique pourrait perdre la moitié de la croissance de son PIB, en comparaison avec l’année dernière, avec une baisse du taux de croissance qui passera de 3,2 % à environ 1,8 %.

Ceci serait dû à plusieurs raisons, notamment la perturbation des chaînes d’approvisionnement mondiales reliant l’Afrique à l’Union européenne, à la Chine, à l’Europe et aux États-Unis, mais également à la baisse des prix du pétrole qui représentait 7,4 % du PIB de l’Afrique entre 2016 et 2018.

En Afrique du Nord, la baisse des prix du pétrole devrait affecter l’Algérie, la Libye, l’Égypte et le Soudan, où le carburant représente respectivement 95,74 % ; 93,15 % ; 26,87 % et 10,77 % des exportations. En plus de la baisse des prix du pétrole, les pays exportateurs de pétrole seront également confrontés à une baisse des exportations due aux restrictions en cours.

Les autres secteurs susceptibles d’être impactés sont les services, le tourisme et la restauration, les envois de fonds, les services, etc. On peut également s’attendre à une baisse importante des IDE et des investissements nationaux qu’ils soient publics ou privés.

En outre, les pays devront faire face à des pénuries d’approvisionnement affectant les principaux piliers de la lutte contre le coronavirus (produits alimentaires et pharmaceutiques) qui pourraient conduire, pour le secteur de la santé, à des augmentations imprévues des dépenses pouvant atteindre 10,6 milliards de dollars.

Cette situation pourrait entraîner une augmentation des prix des produits pharmaceutiques et réduire leur disponibilité pour les Africains. En ce qui concerne les denrées alimentaires, les deux tiers des pays africains étant des importateurs nets de produits alimentaires de base, les pénuries risquent de compromettre gravement la sécurité alimentaire du continent.

Que faire pour minimiser l’impact du COVID-19 ?

Plusieurs pays d’Afrique du Nord ont pris des mesures rapides pour atténuer l’impact de l’épidémie de COVID-19 sur leurs économies, telles que la baisse des taux directeurs des banques centrales en Tunisie, en Egypte et au Maroc et l’allocation de fonds d’urgence pour la lutte contre la pandémie et le soutien à l’économie et aux couches les plus fragiles de leurs populations.

Un pays comme la Tunisie, a également lancé des moratoires fiscaux, qui ont permis de reporter le remboursement des crédits bancaires et commencé à accorder un soutien financier aux secteurs les plus touchés comme le tourisme.

Je félicite d’ailleurs la Tunisie pour la rapidité de sa réaction à la pandémie, par des mesures telles que la réduction des journées de travail et la division des travailleurs sur différentes plages horaires pour limiter l’usage des transports publics.

Sur le plan économique, des mesures comme le report du paiement des cotisations de la Caisse nationale de Sécurité sociale, le rééchelonnement des dettes fiscales et douanières et l’annulation des pénalités de retard pour les entreprises de travaux publics devraient contribuer à soulager les entreprises et faciliter leur survie durant cette période difficile.

Pour la Tunisie, la situation est déjà fragile, est-ce que vous pensez qu’on risque un scénario libanais ou Grec ?

La Tunisie n’est pas le seul pays africain dans cette situation, cependant, je ne m’attends pas à ce qu’il soit confronté au même scénario. J’encourage la Tunisie à se joindre aux efforts des ministres africains chargés du développement économique et des finances,avec le soutien de la CEA et à appeler la communauté internationale à soutenir l’Afrique par un pack de 100 milliards de dollars qui permettra de limiter les dégâts sanitaires et économiques de la pandémie du COVID-19 et faciliter un retour plus rapide vers la croissance économique. Les pays africains, dont la Tunisie, sont victimes de chocs extérieurs hors de leur contrôle et le monde doit se rassembler et faire preuve de solidarité.

La CEA accordera-t-elle des aides spécifiques aux pays de l’Afrique du Nord pour les soutenir dans cette conjoncture ?

La CEA qui vise à aider les pays à élaborer des options de politique macroéconomique et structurelle, suit de près l’évolution de cette crise et met à jour ses programmes en conséquence.

Dans le cadre de notre rôle de plaidoyer en faveur de l’Afrique, notre organisation se fait l’écho de l’appel, lancé la semaine dernière par les ministres africains des Finances (19 mars 2020), en faveur d’une relance économique d’urgence immédiate de 100 milliards de dollars américains dans la région. Nous pensons que la renonciation aux paiements d’intérêts, estimée à 44 milliards de dollars US pour 2020, et l’extension possible de la dérogation à moyen terme, donnerait immédiatement aux gouvernements la marge de manœuvre fiscale et les liquidités nécessaires pour répondre à la pandémie du COVID-19 et, ainsi apporter une réponse sanitaire et économique immédiate.

Ce soutien devrait aller au-delà du secteur public et concerne régalement le secteur privé. Nous demandons également la levée immédiate de tous les paiements d’intérêts sur les crédits commerciaux, les obligations de sociétés, les loyers ainsi que l’activation des lignes de liquidité pour les banques centrales pour garantir que les pays et les entreprises puissent continuer à acheter des produits essentiels sans affaiblir le secteur bancaire.

La CEA poursuivra également ses travaux d’appui à la construction de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), qui doit commencer en juillet 2020.

Le marché intra-africain pourrait aider à atténuer certains des effets négatifs du COVID-19 (surtout si l’Afrique doit continuer d’être largement préservée du COVID-19) en limitant la dépendance à l’égard de partenaires extérieurs pour des produits de nécessité comme les produits pharmaceutiques ou les aliments de base et en diversifiant les économies (export moins axé sur les carburants) et les routes commerciales ; ceci est vital au-delà de la lutte contre la pandémie et démontre à nouveau la nécessité urgente de mettre en œuvre d’urgence la ZLECA.

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